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Il y a quelques temps, j’avais évoqué l’importance de l’audio sur la réussite d’une belle montée au 7e ciel, mais l’autre soir, j’ai été frappée par un parfum… d’homme bien sûr !
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M’étant rendue dans une célèbre enseigne sur les Champs Elysées pour faire l’acquisition d’un objet insignifiant, c’est sur le chemin de la sortie de la boutique, alors que je musardais entre les rayons, que j’arrive sans y prêter attention, au niveau des senteurs destinées à la gent masculine.
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Comme toute fine gastronome qui se doit, mon odorat est performant et bien entraîné. Savez-vous d’ailleurs que la mémoire olfactive est la plus durable ? Ah le cerveau est un outil fascinant, ses mystères me passionnent.
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J’observe les flacons d’élixirs et me saisis de certaines luxueuses bouteilles. Nul besoin d’imprégner une touche de papier pour capter la composition de ces ingrédients vaporeux, je passe juste ma truffe alerte près de l’embout du vaporisateur et sais de suite à quoi j’ai affaire.
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Soudain, telle une chienne de chasse en arrêt, je tombe nez à nez avec un jus divin qui provoque un big bang dans mes narines et fait s’agiter mille et un souvenirs qui se bousculent d’un coup dans ma tête.
Quelle incroyable complexité ! Quel intrigant mélange ! Je ferme les yeux et me sens immédiatement transportée dans un univers troublant à l’ambiance envoûtante.
J’essaye d’analyser, de décortiquer, de disséquer la savante alchimie de cet assemblage parfait.
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Il me semble y discerner la chaleureuse odeur du cuir et du bois précieux (du cèdre, du santal peut-être) et le plus surprenant, un parfum capiteux ! On croirait celui d’une tubéreuse, d’un gardénia ou du jasmin. Le tout enveloppé dans un nuage de vanille. Voilà qui est étrange, car ces composants sont généralement réservés aux fragrances pour femelles aguicheuses (dont je suis parfois).
Serait-ce à dessein de faire accepter à monsieur sa part de féminité ? Il faut admettre que le geste s’est progressivement masculinisé, mais il conserve à tort une image assez peu virile - voire assez « queer » - quelle grossière erreur ! C’est tellement sexy de capter un effluve subtil au passage d’un homme qui a compris que cela pouvait être un terrible atout séduction à condition que cela reste discret.
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La composition de ce parfum est étonnante car l’équilibre entre les notes fortes et les plus fraîches (ou plus discrètes) - dites « notes de tête » - est impeccable. Chaque ingrédient trouve parfaitement sa place dans la grande orchestration olfactive.
Telle une symphonie dans mes narines, j’arrive à trouver plusieurs niveaux de lecture à cet admirable enchaînement de senteurs.
Aucun élément trop puissant ne prend le pas sur les autres, l’ensemble est un ravissement, une sorte de voyage intérieur. Ma mémoire sautille d’un souvenir au suivant, d’une sensation légère à une plus brutale, au gré des évocations que me procurent les inhalations successives.
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Je ne saurais dire pourquoi, mais cette composition envoûtante me plonge dans un décor colonial, je m’imagine en Indochine ou à Shanghai dans les années 50. Je vois de lourdes malles sculptées ponctuées de clous dorés, des ventilateurs au plafond brassent un air moite et lourd, la végétation luxuriante et l’exubérance des fleurs exotiques donnent le tournis.
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J’imagine celui qui pourrait porter l’intrigant parfum. Il est grand, élancé, la mâchoire carrée et une stature rassurante. Il porte un costume de lin couleur crème et un Borsalino vissé sur ses tempes brunes ou d’imperceptibles et précoces cheveux gris lui donne une maturité sobre dans sa trentenaire sportive. Lové lascivement dans un large fauteuil de rotin, il est plongé dans un livre dont il tourne les pages avec volupté et délicatesse.
De ses bottines italiennes à son col Mao de fine popeline blanche, je le caresse du regard avec gourmandise. Qu’il est agréable d’effleurer la délicate étoffe froissée en essayant de deviner les courbes qu’elle cache. Le déshabiller ainsi des yeux me permet d’imaginer le galbe d’une cuisse fuselée, la force d’une épaule, les ondulations de son torse. Hum, cet inventaire à la Prévert me met l’eau à la bouche. De sa peau exhale le parfum suave et son allure « so british » invite à plonger dans son regard pour sombrer vers d’autres plaisirs, se laisser porter par la douce sensation.
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Mais quelle est donc cette incroyable odeur musquée, animale ? Cette puissance qui me domine, me chavire et suscite des pulsions si primaires… Je laisse la fragrance sucrée provoquer en moi un délicieux frisson qui me parcourt l’échine, je ne peux réprimer un sursaut quand il se faufile plus bas…
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Puis je rouvre les yeux, me rend compte que je suis en pleine béatitude devant ce linéaire. Oups ! J’ai l’impression d’avoir été prise en flagrant délit avec la main dans le pot de confiture !
La vendeuse accepte de m’offrir un échantillon du subtil outil d’évasion olfactive et je sors de la boutique assez prestement, en espérant que personne ne m’aura surpris dans ma rêverie coupable.
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Désormais je détiens quelques gouttes dangereusement efficaces qui me permettent de replonger à loisir dans cet état second de mon escapade mentale érotico-exotique à caractère éthéré.
A chacun sa madeleine de Proust, la mienne serait plutôt une boîte de Pandore…
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Sister « qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse »
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P.S. : saurez-vous deviner le nom de cet élixir ?
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