Alors que vous êtes tous en train de déballer vos cadeaux, siffler du champagne ou reprendre une 3e fois de la bûche, je suis chez moi. Oh ce n’est pas grave, je ne suis pas une pauvre vieille oubliée par ses petits enfants au fin fond de la Creuse, ni un SDF qui n’a personne avec qui partager son kil de rouge, ni même une orpheline en quête d’identité. Non, je suis juste moi. Fille simple et sans problème, vie calme et sans trop d’aspérité, gros rhume, mais bonne santé.
Je viens de passer Noël en version « extra small », juste avec mes parents. On s’est fait ça à la bonne franquette, sans fanfreluches ni décoration clinquante. Juste avec quelques bougies, parce que - de tradition familiale - depuis qu’on est tout petits avec mes frères, dès qu’on mangeait aux bougies, c’était la fête. Un repas tout bête prenait des airs de Versailles, on s’y croyait grave !
Nous sommes donc allés à l’essentiel : potage, langouste mayonnaise, foie gras et omelette norvégienne. Oui, rien d’autre, nous ne sommes pas de gros mangeurs et on préfère peu, mais bon plutôt que trop et médiocre.
On s’est longuement félicité de ne pas avoir eu à se taper des heures de bagnole sur une route gelée et embouteillée pour arriver au gueuleton familial annuel. Mais oui, vous aussi vous connaissez… Ah ! Les joies de retrouver les blagues lourdingues de l’oncle Maurice, la peur de se faire vriller les tympans par les gamins qui ne savent pas jouer sans hurler, les prises de bec entre les belles-sœurs qui ne peuvent pas se sentir et pourrissent l’ambiance de leurs joutes verbales, les ruses pour éviter que Mémé Julienne ne nous resserve de son écoeurante dinde farcie aussi grasse que sa culotte de cheval et surtout les affres de la quête effrénée de l’incontournable cadeau ruineux et qui – de toute façon – a une chance sur deux de finir sur ebay dès le lendemain.
Oui, en évitant tout cela, nous avons passé un excellent Noël, à n’en pas douter.
Pourtant, en rentrant chez moi juste avant minuit, je me suis dit qu’on était tout à fait hors-norme. Depuis des semaines dans les médias, on nous rebat les oreilles de menus festifs, de mets compliqués et des huîtres trop rares. Pas une émission de radio ou de télé qui ne nous matraque de pubs pour tout et n’importe quoi, pourvu que ça se vende. C’est un véritable bourrage de crâne, une mécanique bien huilée : à Noël, on DOIT acheter ! Consommateur, toi qui viens d’entrouvrir ton portefeuille, sache que partout autour, des milliers de vautours et de chacals du marketing sont prêts à te faire cracher ton pognon jusqu’au dernier sou. Tu n’as pas le choix, la propagande fonctionne bien, il faut que tu dépenses !
Du coup, ce soir encore, en n’étant pas rentrée dans le moule, je me sens bizarre, comme pestiférée (un peu), parce que j’ai choisi de ne pas faire comme les autres. Pour autant, je ne suis pas arrivée les mains vides. J’avais un gâteau, un dessert et des bouquins. Bref, des choses que j’offre déjà toute l’année, sans me soucier de savoir si on est le 10 mars, le 1er novembre ou le 24 décembre. Sans en attendre rien non plus en retour.
Même si je suis toujours gênée quand on m’offre quelque chose, je préfère que ce soit au moment où j’en ai besoin plutôt qu’à l’instant T où on nous a imposé à tous de claquer du fric en masse.
Le plus dur, c’est après. De retour au boulot ou avec les amis, lorsque je dois répondre à la fatidique question : « alors, tu as été gâtée ? » ou du genre : « tu as vu, on m’a offert cette montre superbe et toi, qu’est-ce que tu as eu comme cadeaux ? ». Si je réponds : « rien », les gens me regardent d’un drôle d’air, entre suspicion et incrédulité. Genre c’est pas normal de ne pas avoir un truc à déballer sous le sapin… ou peut-être ont-ils pitié de moi en se disant que je n’ai pas d’amis ? Je n’en sais rien, je ne me pose pas ce genre de questions.
Ce qui me rend perplexe également, c’est de voir les gosses totalement blasés en ouvrant leur tonne d’emballages scintillants : « hum… encore une boîte de Playmobil », « pff, j’aurais préféré Race Driver Grid plutôt que Need For Speed », « pourquoi je n’ai pas la voiture, le salon de coiffure, les vêtements et les accessoires avec ma Barbie Pétasse ? ». Limite ça les saoule qu’on leur offre des trucs, ça ne va jamais. Visiblement, trop de jouets tuent le plaisir.
Ah si, il y a une chose qui me manque du Noël traditionnel, ce sont les chocolats. Avant, les clients de l’entreprise nous en offraient, par gratitude du travail effectué, par gentillesse, par intérêt ou par habitude. Mais la crise est passée par là et depuis 3 ans, c’est la misère, adieu la tradition, plus rien, c’est la dèche.
Il faut dire que les industriels ont tellement abusé en la matière qu’il devient difficile d’offrir une boîte raisonnable sans y laisser un gros bifton. Quand je vois dans les rayonnages des hypermarchés, ces monceaux de mauvais chocolat vendus à prix d’or, je trouve qu’il y a vraiment de l’arnaque. Comme c’est le passage obligé si on n’a rien d’autre à offrir (outre les fleurs), du coup ils se gavent comme des gorets et les prix au kilo s’envolent vers des sommets. Là aussi, mieux vaut moins, mais du savoureux, le très bon n’a peut-être pas un gros emballage qui brille, mais il vous fera swinguer les papilles et vous transportera dans un voyage gustatif incomparable.
Finalement, entre les chocolats de Pâques et ceux de Noël, je me demande si les fêtes chrétiennes ne seraient pas sponsorisées par les professionnels de la bouchée de cacao ? Bizarre quand on y pense.
Joyeuses fêtes à tous.
Sister « passe son tour »