L’autre jour, je suis allée faire un tour à Paname pour quelques courses et surtout « prendre l’air » sans les envahissants Parisiens.
Évidemment, je n’ai pas pu m’empêcher de rendre une petite visite de courtoisie à l’un de mes dealers de bouquins, celui qui se prétend agitateur mais ne secoue pas grand-chose finalement, à part nos portefeuilles malmenés.
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J’avais même l’intention d’acheter deux bouquins qu’on m’avait fortement conseillés. Toutefois, leur prix très élevé pour un contenu ma foi assez modeste m’a obligé à revoir mes prétentions à la baisse et j’ai reposé soigneusement les ouvrages.
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Histoire de voir les nouveautés et de fureter encore un peu dans les rayons, je tombe d’un coup sur deux énormes linéaires pleins de livres de cuisine. Sous mon nez, des centaines de bouquins voués au culte de la bouffe sous toutes ses formes, même les plus inattendues !
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Les manuels ayant trait à l’art de la table ont pris un essor impressionnant ces dernières années et l’on se retrouve désormais avec des tonnes de parutions nouvelles chaque semaine.
Comme toute chose poussée à l’extrême, le filon qu’on exploite actuellement avec une ferveur excessive est en train de sombrer dans le grotesque.
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Ainsi, nous trouvons en best-seller les recettes des chefs qui se font parfois grassement payer pour un bouquin dont ils n’ont pas écrit la moindre recette, ou alors au mieux juste la préface, histoire de coller leur nom dans un coin en plus de la photo de couverture, Cyril Lignac par exemple (exemple : "C'est moi qui cuisine... Oui chef !"). Il faut le prendre au sérieux, cet homme peut tout à fait oser vous apprendre à faire des tomates-mozzarella ! On ne rigole pas avec la bectance ! La seule chose juteuse dans cette compil' est la somme qu'il a dû encaisser auprès d'Hachette.
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Et dire qu’il y a quelques années, la comédienne Valérie Lemercier avait donné la recette des coquillettes au beurre dans le magazine Elle pour jouer la déconne et le décalage, maintenant les toqués n’hésitent pas et font pareil, mais sans rigoler…
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N’oublions pas non plus les « auteurs » qui flattent leur égo en publiant un livre alors que jusqu’à présent, elles se contentaient de proposer le menu du mois dans un magazine féminin. Ce sont les pires. Franchement, il faut voir un peu comment « elles se la racontent grave ». De l’aveu même de Trish Deseine (qui s’imagine être devenue une figure incontournable de notre gastronomie parce qu’elle a signé quelques bouquins qui se sont bien vendus) dans une interview radio, elle confie que dans son dernier opus qui s’intitule très modestement « My cuisine » (oui elle est très fière d’elle-même) ne contient que 10 à 15 % de préparations personnelles ! Incroyable, cela signifie bien que près de 9 recettes sur 10 ne sont qu’un pauvre copier-coller d’autres ouvrages ! De ce fait, ne devrait-elle pas toucher ses copieuses royalties dans les mêmes proportions ? La personnalisation du titre pourrait d’ailleurs être qualifiée de publicité mensongère ou trompeuse, encore une fois.
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Autre aberration, les pointures font appel a des photographes spécialisés qui ne prendront aucun cliché de votre baba au rhum préféré si vous n’allongez pas une grosse enveloppe de 20 000 euros. Ça frôle la connerie tant on ose plus ouvrir ce livre d’art de peur de le tâcher d’une éclaboussure d’œuf en cherchant à réaliser l’œuvre culinaire du maître.
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Il faut le savoir, la grande mode du moment, ce sont les marques qui trouvent là le moyen de se montrer et de s’octroyer une renommée à moindre coût. Ainsi, vous retrouverez entre autres : « Mes recettes Haribo », « Nutella, 40 ans de plaisir » ou « La vache qui rit, sa vie, ses recettes ».
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N'ayons pas peur (quoique), la révolution gastronomique est en route et avec elle ses promesses d’autonomie culinaire totale. Ainsi, vous dénicherez des dizaines de livres pour vous apprendre à utiliser votre dernier joujou ménager top fashion, j’ai nommé : la machine à pain !
D’ailleurs, j’ai été soufflée de voir chez Delbard / Gally des linéaires entiers avec des farines de toutes catégories et aux saveurs variées, prometteuses de délicieuses créations et gage de réussite vers votre objectif de devenir les champions de la panification à domicile.
Vous n’imaginez pas tout ce que la machine peut faire pour vous. Quoi ? Ah oui ! Vous vous êtes surpris en train de lire la marque à chevrons dans la phrase ci-dessus ? Hé oui, vous n’êtes que des fils de pub (hu, hu), vous êtes pardonnés d’avoir tant péché.
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Évidemment, le rayon « cuisine » est devenu un véritable repaire de recueils à vocation de mode d’emploi pour optimiser l’usage de vos outils ménagers rutilants. Ainsi, vous saurez tout sur la manipulation de votre mixeur, blender, centrifugeuse, sorbetière, saucière, hachoir, etc. Dans ma sélection de l’été, je vous propose : « La machine à pain », « Blender » (oui, ils savent faire simple), « Mon mixeur, un bonheur » (si si, c’est bien le titre original ! Franchement, si un jour Dédé la Chignolle vous fait avaler vos dents, vous saurez qu’une bonne âme s’est penchée sur votre grand malheur et vous propose de ne pas mourir de faim grâce à cet ouvrage incontournable).
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D’ici peu, nous aurons droit à un délire similaire sur la machine à faire des yahourts qui revient en force (il faut que j’exhume celle de ma mère qui date des années 70 et devrait pouvoir se vendre une fortune sur ebay vu son côté « authentic vintage item »). Je pense qu’on peut prévoir la sortie prochaine de conneries du genre « Yahourtière mon amie, ma confidente », « Mille et une recettes de yaourts à travers les saisons », « Yahourts du bout du monde », « Yoghurts, humour et crustacés ».
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Il y a aussi des livres spécifiques à chaque catégorie de mangeurs : les bébés, les femmes enceintes, les végétariens, les personnes âgées et - incontournables - les gens au régime ! On peut d’ailleurs maigrir selon la numérologie, la chronobiologie, le groupe sanguin, le signe astrologique et j’en passe. Grosses arnaques au tournant, mais que voulez-vous, tant que les gens achètent, ils continuent à publier des aberrations de ce genre.
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Dans la tendance du fooding ou du branchouille, vous avez aussi droit aux lubies des apéros et autres tapas qui sont l’occasion de grignoter des mini bouchées présentées dans des verres riquiqui, des cuillères plates bizarres ou des toasts à la taille de Barbie. Cela représente des heures de boulot derrière les fourneaux pour confectionner ces mignardises ridicules pour Parisiennes anorexiques.
Si on invite des potes, je préconise d’oublier ces échantillons de bouffe et d’opter pour la bonne vieille côte de bœuf (si le temps s'y prête) ou l’inratable hachis parmentier dont le succès ne s’est jamais démentit. Faut arrêter les conneries quand même, sinon y’aurait motif de fâcherie !
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Voici, histoire de se mettre en bouche (non, ce n’est pas sale, ton corps change, pense aux fleurs), une petite sélection de titres assez parlants et qui vous résumeront bien ce que vous trouverez dans les rayons de votre libraire :
- « Chéri, t’as pris du bide » => messieurs tremblez, madame en veut à vos poignées d’amour et autre bouée
- « Jus, soothies et Cie » => ou comment rendre liquide n’importe quoi
- « Divines verrines » => des doses minus dans des petits pots
- « Festins créoles » => pour ceux qui sont aussi passés à la pharmacie chercher du « Préparation H »
- « Tajines et quadras » => j’vois pas bien le rapport entre les deux
- « La cuisine des séries » => pour tout connaître des recettes de « Ma sorcière préférée » ou autres
- « Cochons et fils » => ce livre n’existe ni en version cachère, ni en grec ancien, quel dommage !
- « Cuisine de tous les jours » => oui, des millions de gens en rêvent de celui-là… ah ! le bonheur de pouvoir bouffer au moins une fois par 24 heures
- « On est pas des cakes » => pour les mecs qui veulent impressionner leur nana en devenant des maîtres queue
- « Poulet sur canette de bière » => non, ce n’est pas une blague, c’est américain ! Ce qui est pire encore !
- « Breakfast, lunch, tea » => pour ceux qui ne se nourrissent qu’avant 18h, contrairement aux Gremlins
- « Craquez pour le croque-monsieur » => eh oui, ils ont osé le décliner à toutes les sauces
- « Bôllyfood » => un jour j’apprendrais à faire des cheese-nan, j’adore ça !
- « Trop chou » => n’ayez pas peur des « venkipu », il ne s’agit là que de la pâtisserie et non du légume crucifère
- « 52 tartines du dimanche soir » => comme ça on connaît le menu de toute l’année à venir
- « Le cake show de Sophie » => elle a décliné le principe sur tous les tons, cet ouvrage est absolument dénué d’intérêt.
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Quand je pense que je viens de taper l’intégralité de cet article dans un McCrado, j’ai presque honte. N’empêche que le bistrot du coin n’aurait pas accepté que je branche mon ordi portable chez lui et que je squatte pendant deux heures juste avec une simple glace à 2,40 euros… Sauf qu’il faut prévoir aussi le lecteur MP3 car Skyrock, je ne tiens pas plus de 5 minutes.
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Bon, tout ça m’a donné faim, ce soir je prévois une blanquette de veau à l'ancienne et des champignons fondants avec en dessert un riz au lait à la crème anglaise. Et dire que je n’ai même pas besoin de bouquin pour concocter ça, je vais finir par faire la ruine de ces marchands de rêves gastronomiques sur papier glacé…
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Sister « pécheresse et docteur ès gourmandises »
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