- Bonjour, vous souhaitez rendre un article ?
- Euh oui, je ne suis plus satisfaite de ce corps et je voudrais reprendre mon ancienne enveloppe charnelle.
- Ah bon, celui-ci ne vous plaît plus ?
- Oh, il est très bien, la preuve en est que je l'ai gardé plusieurs années, mais, la taille n'est plus en adéquation avec mes attentes de l'avenir.
- Oui, vous aviez pris le modèle très large, ça peut devenir pesant à la longue...
- En effet, vous avez mis le doigt dessus (retirez-le maintenant, merci) et il m'a été d'un grand secours.
- Vous avez pleinement exploité son pouvoir de bouclier envers l'entourage ?
- Bien sûr, c'est d'ailleurs ce qui m'avait motivé pour le prendre, j'avais besoin qu'on m'oublie, car je ne souhaitais plus avoir quoi que ce soit à prouver à quiconque.
- Etrange paradoxe n'est-ce pas ?
- Tout à fait, ce côté placide nous rend transparents et pourtant on nous sollicite sans cesse pour alléger la peine, la douleur, les ennuis.
- Oui, nous mentionnerons désormais sur l'étiquette que le modèle saint Bernard (ne pas confondre avec Sarah qui n'était pas vraiment une sainte) est une éponge (sans Bob ni casquette, S.V.P.) pour toute la misère des autres.
- C'est bien le problème, car j'ai fini par me perdre dans ce costume trop grand pour moi. J'aimerai me recentrer sur ma propre vie et mes attentes.
- Le risque est bien réel en effet, à force de jouer un rôle, on en oublie sa personnalité, on devient vraiment le personnage que les autres veulent que vous soyez pour eux.
- Finie la vie par procuration ! J'ai plein de projets perso alors je ne pourrai plus traiter les petits et gros soucis de tout le monde.
- Vous savez que l'inversion du processus est un peu longue et semée d'embûches ?
- Oui, oui, je m'y suis préparée, l'idée est mûrement réfléchie et je me sens prête, ma décision est prise.
- Sans indiscrétion, quel en fut le fait générateur ?
- Euh, si, c'est indiscret mai bon, allez, je balance, mon groupe sanguin est A négatif. Quoi ? Je m'égare ? Je n'ai pas compris la question ? Si, si, j'essayais juste de noyer le poisson.
Ce qui a tout déclenché ? Une rencontre, des paroles, un personnalité plus marquante, une ouverture sur le monde que je percevais plus.
À force d'être le nez dans le guidon, on en oublie la route et on se perd.
À courir plusieurs lièvres, on en oublie son propre objectif.
À être trop disponible pour les autres, on en oublie d'exister pour soi aussi.
- Je vous sens déterminée, d'où vous vient cette motivation ?
- Du coup de pied au c.. que j'ai reçu ! Pour une fois, ce n'est pas moi qui faisais bouger les autres, je me suis fait bousculer dans le bon sens.
Je n'étais plus sur les rails depuis longtemps sans pourtant avoir rien vu venir.
Le choc a été total : on m'a tendu la main ! Au début, je n'ai rien compris, je ne savais pas quoi en faire. J'étais perdue et surprise par cette subite sollicitude. Cela sortait totalement de mes schémas habituels.
Puis, j'ai assimilé ce qui arrivait. On ne me poussait pas sur le chemin, on me montrait ma voie. J'en restais sans voix ! Progressivement, je retrouve un souffle nouveau. La petite musique de mon coeur résonne à nouveau à mes oreilles. Qu'il est bon de l'entendre à nouveau après plus de 10 ans de "coma psychologique et émotionnel".
- Il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
- À qui le dites-vous ! Depuis toujours je vois et ressens la douleur des autres, je ne savais même pas que je pouvais aussi entendre la mienne. Jusqu'à présent, le sentiment était diffus, présent, mais impalpable.
- Pourtant, l'ampleur de votre bouclier physique aurait dû vous mettre la puce à l'oreille ?
- Mais non, pas le moins du monde, j'étais au pied du mur, mais en le voyais pas, du moins très partiellement et cela me convenait. En fait, mon esprit est resté tout ce temps formaté sur le corps précédent, je ne voyais pas le nouveau qui s'était installé. C'est pourquoi je voudrais retrouver ma logique corporelle puisque ce costume que j'endosse n'a jamais vraiment été le mien.
- La cécité en plus de la surdité ?
- Tout à fait ! Suite au choc initial, le bouleversement a été intégral, mais je ne voulais pas l'accepter alors j'ai continué à batailler contre les moulins à vent des autres pour ne plus avoir à affronter mes fantômes personnels.
- Et en quittant le costume mal taillé, vous pensez être guérie ?
- Non, pas déjà, mais en cours de guérison, oui. Mon corps n'est pas mon ennemi, il n'est que le reflet de plus en plus voyant de ce que je ne voulais pas voir en moi.
Maintenant que j'ai vu la jolie lueur qui brille, la conséquence psychosomatique n'a plus lieu d'être...
- Et vous pouvez donc retrouver votre corps d'avant, ou du moins vous en rapprocher. OK, j'ai tout compris.
- On m'a montré la porte qui mène à la paix intérieure, j'ai osé l'ouvrir et je me sens prête, à défaut de transformer le plomb en or, au moins à canaliser le stress pour en faire une énergie positive me permettant d'aller de l'avant.
- Alors bonne route et sans regret ?
- Merci, sans regret je vous assure. Je ne suis plus nostalgique du passé, je vais aller au-delà et appréhender l'avenir avec plus de sérénité.
- Adieu ancien "moi".
Sister "une page se tourne"