L’autre jour, je vantais auprès d’AnT, les nombreux avantages insoupçonnés de cette figure mythique de la lutte contre le grand banditisme télévisé, j’ai nommé : Derrick.
Quoi ? Qu’entends-je ? Qu’ouïs-je ? Vous ne connaissez pas les vertus hautement thérapeutiques de cette volaille teutonne qui sévit sur nos petits écrans depuis des décennies ? Vous m’étonnez. Nous en sommes peut-être déjà à la douzième rediffusion, vous n’avez donc pas pu passer à côté. À moins que ce ne soit la 15e saison, ça, je ne saurais vous le dire car, à par l’équipe technique, personne n’a, à ce jour, pu raisonnablement témoigner avoir vu un épisode en entier sans plonger dans un profond sommeil, alors toute une saison, vous pensez bien !
Voilà en moins de deux (disons 1,8 ça vous va ? Topez là ! Vous préférez 3 coups de cuillère à pot ? Je dis banco aussi !), vous connaîtrez mon point de vue sur ce personnage aussi étrange que méconnu et dont le célébrissime charisme (proche de celui du bulot bigouden à la morne saison) en a fait s’interroger plus d’un.
La belle histoire commence un jour de « jenesaisquand » lorsque feue La Cinq décida, dans un moment de pure folie (nulle ne dit s’ils avaient gobé des trucs louches ou absorbé des boissons à fort degré d’alcool) toutefois, dans le cadre de leurs programmations franco-allemandes, un beau matin (ou peut-être une nuit) ils ont décidé de nous infliger ce pseudo flic insipide en plein après-midi. La France qui se lève tôt pour travailler plus et gagner des nèfles est donc épargnée par ce fléau. Reste que les victimes de l’inspecteur-mou-du-g’nou sévit sur les ménagères de plus de 50 ans, sur les malades hospitalisés ou alités, le 3e âge et les autres pauvres gens qui n’ont pas les capacités physiques ou mentales pour oser éteindre le poste et ouvrir un bon bouquin.
Plantons le décor. Les scènes en extérieur sont aussi chatoyantes qu’un jour de versement de tiers provisionnel, le ciel est immanquablement plombé et oscille entre le gris, le gris sale, le gris noir fadasse, le sombre, le triste et le « moche-aussi-mais-pas-pareil ». En intérieur, ce n’est pas mieux, les séquences sont toutes aussi déprimantes. Ce qui choque d’ailleurs le néophyte est l’absence de couleurs franches. Ici le marronnasse, le verdâtre et les diverses nuances tristes de tons ternes sont déclinés à l’infini. Rien qui ne pique les yeux au niveau colorama, c’est très soft, carrément austère (comme dirait Paul). On se dit que Valérie Damido et ses couleurs flashy leur colleraient immanquablement une crise cardiaque si elle venait à leur maroufler leurs salons de sa patte décomplexée et de ses pots de peinture qui permettent facilement d’ajuster le réglage votre téléviseur sans avoir à attendre la mire. Hum, la déco chez les Germans people, c’est comment dire… les standards très spartiates des pays de l’Est des années 40. En somme, pas super fun.
Vous allez me dire que c’est glauque et pourtant, cette particularité de quasi monochromie est bien un atout majeur de la série, car les daltoniens peuvent profiter du programme sans complexe puisque leur résolution visuelle est identique à la nôtre. Tout pourrit pareil, c’est pas fantastique ça ?
Parlons un peu du personnage. Histoire de ne pas le louper, ils ont voulu affubler le principal protagoniste d’un imper hors mode dans les tons mastic. Sûrement pour essayer de l’assimiler au célèbre Colombo. Avouez que cela apporte une touche de gaîté sans précédent !
Cela nous amène donc à la deuxième vertu de la série : aucune violence en vue. Calme plat, rien à signaler, tranquille Émile, pépère, pas de vague. D’ailleurs, c’est bien simple, la seule cascade à attendre, c’est quand le héros (hum, un bien grand mot) enfile son fameux pardessus. Ouf ! Que d’émotions les amis !
Parfois, quand même, il y a un peu d’action et on peut dire que c’est la récompense de ceux qui n’ont pas sombré avant dans le sommeil, il envoi alors sont fidèle acolyte à la poursuite du malfaiteur. On peut aisément repérer cette scène, car elle est annoncée par la phrase culte : « Cours Harry, cours ! ». Quelle énergie ! Quel suspens ! Oui, maintenant, vous pouvez vous rendormir.
Nouvel avantage, le gars Derrick est rassurant, d’une banalité absolue. Du coup, le péquin de base peut s’identifier sans grand effort d’imagination. Avec ses gros yeux de cocker fatigué et sa tension à 0,5 il n’y a aucun risque pour qu’il s’engueule avec son chef ou ne provoque un esclandre. Il est tout bien politiquement correct, on aurait même du mal à définir l’époque de tournage des épisodes (un indice s’affiche sur votre écran : les modèles de voiture qu’on peut observer par intermittence). Là encore, c’est « dormez braves gens ».
Mais au fait, savez-vous pourquoi ils ne passent jamais deux épisodes à la suite ? Parce que celui qui joue le méchant dans une histoire, sera ensuite utilisé pour faire la victime. Hé oui, il faut vous signaler qu’ils n’ont qu’une dizaine de comédiens à disposition alors il est indispensable de faire tourner en boucle ce petit monde avec une certaine alternance entre les quelques rôles proposés. Du coup, si vous tombez dans les bras de Morphée dès la 5e minute d’un épisode (ce qui est fort probable, voire inévitable) et que vous vous réveillez à la 20e minute du second, vous risquez fort de paniquer en croyant que le mort est devenu le tueur. Risque d’infarctus chez les plus de 75 ans. Voilà pourquoi vous n’aurez pas à craindre ce genre de programmation perturbante. De plus, à quoi bon essayer d’en mettre deux alors que personne n’arrive déjà au bout d’un seul sans roupiller comme un bienheureux.
Je serais curieuse de lancer un petit appel à témoin. Est-ce que quelqu’un ici a déjà pu voir un épisode en entier, du début à la fin, sans zapper et sans sombrer dans le pouvoir anesthésiant de la série ? Nan, vraiment, vous croyez qu’il y en a ? J’avoue être dubitative.
Oui, l’intérêt principal de Derrick est sa propension à vous plonger dans un profond sommeil en moins de temps qu’il ne vous faut pour dire ouf (ou pour prononcer « David Hasselhof » si y’en a qui préfèrent). En fait, il devrait même exister une chaîne spéciale qui ne diffuserait que ça en boucle - avec quand même des pauses (genre « Histoires Naturelles » ou « 30 Millions d’amis » ou encore les reportages terroirs de Pernault) - entre chaque pour éviter l’effet pervers mentionné ultérieurement.
Ainsi, ce canal spécial insomniaque pourrait trouver son public dans les hôpitaux et maisons de retraite, ainsi que dans les établissements proposant des cures de sommeil évidemment. Ah ! La promesse enfin tenue du retour à un véritable repos salvateur, nul doute que l’inspecteur teuton y parviendra sans encombre. Hé oui, Super Derrick est là !
Juste un bémol à ce portrait un peu trop « brosse à reluire », un regret, un réel souci présent trop souvent dans les histoires télévisées du héros : le téléphone ! Mais oui, c’est insupportable, inadmissible, affolant, car cet outil de malheur ne manque pas de retentir avec son bon vieux dring-dring d’antan qui va à coup sûr vous réveiller sèchement alors que vous veniez de piquer du nez dans un gros dodo. Peut-être vous imaginiez vous déjà aux côtés d’Angelina Jolie ou Pierce Brosnan à vivres des aventures merveilleuses et paf ! Téléphone vintage qui couine et bing ! Fini le rêve de star. C’est ballot. Nota bene (à l’attention du monteur) : supprimer cet oiseau de mauvais augure qui fout le boxon.
Je vous le dis tout net, Derrick devrait être remboursé par la Sécu parce que ça permettrait d’éviter la surconsommation de somnifères et il faudrait aussi le décorer d’une belle médaille* pour services rendus à la nation. Grâce à lui, on pourrait diviser par 10 la dose de Lexomil ou de Tranxen. Oh oui, ce personnage est une bénédiction envoyée par Saint Morphée. Alléluia !
Il est même une légende urbaine qui raconte que quelqu’un aurait vu un épisode entier et sans sombrer illico dans le coma temporaire. Pff, les gens racontent de ces trucs bizarres, j’vous jure…
Sister « bonne nuit les petits »
*Quand on sait que Sarko a gratifié (son ami) le président de Generali, ça fait froid dans le dos ce genre de copinage sans borne.