Il faut bien l’avouer, on va rarement chez son arracheur de dents par plaisir. On se résigne, parce qu’on n’a pas le choix et on a tous connu ça, il faut y passer un jour ou l’autre.
Le bilan est sans appel, quand on sort de son officine, on a les gencives anesthésiées et puisqu’on ne sent plus rien, on a tendance à baver comme un bouledogue, ce qui donne une allure d’un glamour incomparable.
Puis la douleur se réveille et là, on commence sérieusement à déguster. Assez rapidement on retrouve ce que les publicitaires appellent « des sensations vraies ». Oui, c’est assez troublant. Là, par exemple, j’ai l’impression d’avoir pris un uppercut direct du droit et que la moitié de mes mandibules ont été écrabouillées, c’est fort sympathique. En fait, j’ai dans l'idée qu’on m’a un peu arraché la moitié de la mâchoire.
Du coup, après avoir incarné un clébard bavant, on se retrouve dans la peau d’un petit vieux ayant mis à tremper son appareillage dans le Stéradent pour avaler sa soupe tranquille. Tout fait mal, le chaud, le froid et comme on ne peut plus mâcher, on avalerait bien tout avec une paille pour que rien ne touche l'espace qui se trouve entre les lèvres et la luette.
Mieux vaut donc ne pas prévoir de rendez-vous quelconque après, sinon vous êtes foutus. On ne peut pas garder une prestance valable quand on ne peut rien articuler et qu’il faut se résigner à des aliments liquides qu’on s’ingéniera à ne pas mettre en contact avec la zone douloureuse.
Je pense qu’après les huissiers, les inspecteurs des impôts et les pervenches, cela fait partie des professions les plus haïes. D’ailleurs, quand on vient les voir, c’est qu’on est dans un tel état de souffrance qu’on est prêt à en subir une encore plus forte dans l’espoir que cela cesse enfin.
A bien y réfléchir, l’expérience ressemble aussi à une intensive séance de sport, le lendemain on a l’impression de découvrir des muscles dont on ignorait jusqu’à l’existence la veille. Là, j’ai la cuisante impression de faire connaissance avec des terminaisons nerveuses fort sensibles et qui ne m’avaient pas semblé si nombreuses avant qu’on ne les titille à coups d’instruments de torture.
D’ailleurs, au-delà de la roulette et de l’aiguille, dont la simple évocation vous provoque comme une gêne immédiate et un rictus de dégoût et de peur sur le visage, il y a aussi cet infâme petit pique de métal que le praticien va vous planter partout pour vérifier là où ça fait mal. Mais cet engin fait mal où qu’on le foute ! C’est comme si je vous glissais une brindille de bambou sous les ongles, vous souffririez immédiatement, alors pourquoi nous posent-ils la question ?
Et puis c’est comme chez le garagiste, on arrive pour un truc simple, bien défini, « on a mal là », puis on nous apprend que telle autre quenotte n’est pas brillante, qu’un détartrage ne serait pas du luxe et que le plombage du fond montre des signes de fatigue évidents. Du coup, on ressort de là en se disant qu’on va y laisser un bras pour remplacer deux chicots. Sérieux, je n’avais pas prévu de me payer une couronne à Noël… « Euh, docteur, vous êtes sûr que c’est vraiment indispensable ce bout de céramique au prix d’une semaine à Marrakech ? ».
Bon, pour cette fois j’y échappe, mais j’ai trois autres rendez-vous de programmés, c’est un peu comme pour la baraque, on devrait faire faire un devis, ce serait plus raisonnable.
Il y a aussi l’étape de la prise en charge : « Allô, la mutuelle, oui, vous remboursez quoi sur le dentaire ?... Ah, euh, mais avec ça je peux à peine payer le soin d’une carie… Oui, bon, je vous recontacterai ». Hum, autant pour se faire financer une bagnole, y’a la prime à la casse, mais pour les ratiches, que dalle ! C’est tout pour ma pomme ! Comme si c’était une opération de confort. Je ne viens pas me faire épiler, mais réparer ce qui me sert au quotidien pour bouffer et pourtant y’a pas moyen d’avoir une aide. Pareil que pour l’optique, on n’y coupe pas, faut raquer.
Et dire que cette nuit je vais peut-être rêver de canules d’aspiration, l’inlay, de daviers et autres instruments de bourreaux des crocs… Ça ne m’inspire pas un sommeil paisible tout ça, mais bon, on m’avait promis que c’était sans douleur pourtant…
Ah ces dentistes… ils mentent comme des arracheurs de dents…
Sister « zozote un peu aussi »