Son port de tête, sa chevalière, son manteau camel en alpaga et cachemire annoncent la couleur : bonne famille, aristocratie, bourgeoisie à consonance catholique fortement marquée.
Nul doute que je suis face à un notable. Huissier, adjoint au préfet, médecin, conservateur de musée ? Mystère.
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Son regard las, un peu perdu dans le néant, terni par les coups durs de l’existence et la désillusion de voir son avenir s’amenuiser, sa vie est nettement derrière lui.
Plutôt résigné, vaguement serein, sa sagesse lui assure une forme d’assurance qui lui donne ce regard strict.
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On ne peut s’empêcher de lever les yeux vers lui quand il quitte son siège, car il a osé…
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Oui, il a osé afficher maintenant ce qu’il cachait depuis toujours.
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Il ajuste en effet sur lui un couvre-chef de feutrine et une écharpe assortie d’un violet flamboyant tirant sur le fuchsia. Cette excentricité vestimentaire annonce la couleur justement. Il est homo et l’assume enfin. Après une vie de frustration, de mises en scène conventionnelles, d’existence bien rangée et conforme aux codes de la bienséance et de la morale familiale.
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Il n’a plus rien à prouver maintenant, son parcours admirable, parfaitement « aux normes » ne le satisfait plus. Il ne veut plus jouer la comédie, donner le change. Alors, il se dit que pour le temps qu’il lui reste, il est légitime de se l’accorder sans plus se préoccuper des qu'en-dira-t-on . Faire voler en éclat les obligations de son rang semble lui apporter un apaisement salvateur. Il a décidé de vivre pour lui et regrette peut-être secrètement de ne pas avoir pris cette décision plus tôt, avant que les outrages du temps ne le privent de la vigueur de sa jeunesse.
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Quel dommage d’avoir dû enfiler ainsi le costume trop étriqué d’un héritage moral si lourd et aussi fermé que leurs usages sont règlementés.
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Il a fait un « copier-coller » du parcours de ses aïeux sur sa propre existence parce qu’il le fallait. Parce que chez ces gens-là, on ne conteste pas la parole du patriarche.
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Désormais, c'est lui le dernier des Mohicans. Il peut se permettre ce luxe, cette fantaisie, cette transgression salvatrice, ce bonheur inouï de pouvoir être juste lui, sans fard ni mascarade.
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Quelle charmante vitrine de la couleur de son âme enfin révélée par ces modestes accessoires aussi violacés que ses bleus à l’âme... qu’il a dû camoufler sa vie durant.
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Quelle impertinence que de choisir une couleur d’évêque pour afficher au grand jour ce que son éducation religieuse réprouve formellement.
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Quelle réjouissance que d’apercevoir dans son regard la volonté d’accéder enfin au bonheur, libre et léger, en ajustant d’un geste ample et élégant sa chatoyante écharpe qui s'envole sur son épaule comme les conventions qu’il a envoyé valser aussi simplement.
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Je le regarde s’éloigner et me dis qu’il est bien dommage qu’il n’ait pas pris cette décision plus tôt. On ne devrait pas se sentir obligés de « prendre le collier » qu’on nous impose parfois, car la sécurité affichée n’est souvent qu’un miroir aux alouettes. Pourquoi toute notre existence durant, devrions nous tirer un boulet qui nous détourne du chemin de notre cœur pour nous conduire dans une impasse qui nous empêche d’exister tel que nous sommes ? Je ferai ma propre trace, suivrai mes envies, trébucherai peut-être, avancerai doucement, mais sûrement....
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Sister « et si vous acceptiez d’être juste vous-même ? »
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